Cette série s’inscrit dans la continuité de mes recherches sur la corporalité de la photographie et sur la façon dont le vivant peut s’inscrire dans l’image. J’analyse des lieux où l’équilibre écologique est rompu par l’activité humaine, en cherchant des formes d’alliances inter-espèces et d’empathie pour le vivant. Le négatif n’est plus un simple support : il devient un corps, un espace à habiter.
À Venise, ville minérale accrochée à l’eau, j’ai photographié à la chambre les dalles de pierre d’Istrie, les zones d’érosion, les marches qui descendent dans les canaux, là où les algues et les plantes aquatiques reconquièrent le bâti. Les espèces invasives profitent du réchauffement climatique pour proliférer, comme nous elles cherchent à s’adapter pour survivre. Les formes rectangulaires de l’architecture trahissent la présence humaine et son altération du vivant, mises en tension avec la croissance anarchique des végétaux qui remplacent progressivement les espèces endémiques.
Les négatifs ont ensuite été immergés dans l’eau des canaux, à l'endroit de la prise de vue, pour inviter micro-organismes, algues et minéraux à coloniser directement l’émulsion. Une seconde peau se forme, modifiant les teintes, les textures, les contours. L’image continue de se transformer avec le temps, comme un fragment de lagune où coexistent espèces indigènes et invasives. Les tirages, craquelés, organiques et de plus en plus abstraits, interrogent notre manière d’occuper, d’épuiser et de partager l’espace avec le vivant, dans un monde où la nature s’adapte déjà à nos excès.